omme le disait Roland Barthes, cité dans l’ouvrage Les Garde-Temps de Luc Debraine: un appareil-photo est une horloge à voir. Les liens étroits entre ces deux disciplines ne sauraient être mieux illustrés que par ce livre.

Dans celui-ci, l’auteur a déployé son appareil-photo pour capturer des moments historiques, à travers des horloges arrêtées – parfois volontairement, souvent tragiquement, parfois du fait de la Nature, le plus souvent à cause de l’Homme.

Ce grand kaléidoscope de cinquante clichés est un recueil de mémoire, figeant symboliquement un temps qui pourtant ne s’arrête jamais. Luc Debraine a eu la bienveillance de nous partager cinq de ces clichés, qu’il commente et qui certainement vous donneront envie d’accéder à l’ensemble de l’ouvrage, publié aux Editions Noir sur Blanc et d’aller voir son exposition à Watches and Wonders.

Dresde, bombardement aérien, 13 février 1945, 0h

Cette montre de voyage date de 1740. Elle est conservée au Salon de mathématiques et de physique du Zwinger, à Dresde. Elle a subi les effets dévastateurs des bombes incendiaires lâchées sur la ville le 13 février 1945 par l’aviation des forces alliées. Elle est depuis lors prise dans sa gangue de métal fondu, inerte à jamais.

Nouvelle-Zemble, grand froid, 3 décembre 1596, 2h

Cette horloge gothique faisait partie de l’expédition du navigateur néerlandais Willem Barentsz, parti à la fin du 16ème siècle à la découverte du passage du Nord-Est. Saisi par les glaces, l’équipage a été contraint d’hiverner sur l’île de la Nouvelle-Zemble. Son horloge était le seul moyen de distinguer les heures diurnes des heures nocturnes. Las, une nuit, le garde-temps a gelé. Il a été retrouvé trois siècles plus tard. Il est aujourd’hui conservé au Rijkmuseum d’Amsterdam.

Titanic, naufrage, 15 avril 1912, 6h08

Cette montre à gousset appartenait à Albert Wirz, jeune agriculteur de l’Oberland zurichois qui voyageait à bord du Titanic en avril 1912. Il entendait s’établir dans l’État du Wisconsin. Après le naufrage du paquebot, son corps été récupéré, puis ses effets personnels renvoyés à sa famille suisse. Sa montre est conservée aux archives communales d’Uster.

Lac de Resia, inondation, 1950, 6h30

Le clocher de l’église romane de Graun émerge toujours du lac de Resia dans le Tyrol du Sud. En 1950, le village et sa vallée avaient été inondés pour la construction d’un barrage. Une légende locale veut qu’on entende les cloches de l’église lorsque le lac est gelé. Vu de la rive, le cadran nord semble marquer 6h30. Mais il ne s’agit que d’une profonde incision dans la pierre.

Château de Chillon, défaillance du mécanisme, été 2017, 4h55

La grande horloge du château de Chillon a rendu l’âme en 2017. Elle était l’un des premiers mécanismes du genre dans le canton de Vaud, installé au 16ème siècle par l’occupant bernois pour mieux asseoir sa domination. Contrôler le temps, c’est contrôler les esprits. Il coûterait très cher de restaurer l’horloge. Elle reste donc immobile. D’autant plus ici: la photo été prise pendant le confinement de l’épidémie de Covid-19, où tout s’était figé.

Les Garde-Temps par Luc Debraine, avec une préface d’Etienne Klein Editions Noir sur Blanc | 124 pages | 29 € | www.leseditionsnoirsurblanc.fr

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