a montre Voutilainen KV20i Inversé arrive à point nommé pour rappeler que le cadran d’une montre, aussi beau soit-il, n’est pas son «cache-sexe» mais qu’il est – ou devrait être – le fidèle prolongement de sa toute technique beauté intérieure. Sa face visible.
Et, en termes de beauté intérieure, la KV20i est une démonstration. L’architecture est harmonieuse. Chaque pièce, chaque élément, chaque composant est scrupuleusement soigné jusque dans ses parties les plus cachées. En tant qu’horloger, Kari Voutilainen s’est lentement imposé comme un maître complet, dans le sens noble du terme, qui allie maîtrise mécanique et splendeur de réalisation. Si son art et sa créativité dans le guillochage main ont fait de ses cadrans souvent exceptionnels (il possède aussi le fabricant de cadrans Comblémine) une référence en la matière – à tel point d’ailleurs que «le style Voutilainen» a donné naissance à nombre d’émules – sa maîtrise et son inventivité mécanique ne sont pas en reste.
Architecture inversée
Conçu, fabriqué, fini et assemblé dans les ateliers de Voutilainen, le mécanisme de la KV20i présente une architecture inversée innovante, unique en son genre, qui permet de pleinement admirer, côté «cadran», tous les détails du mouvement. A commencer par son pont de balancier à un seul bras, le balancier lui-même (d’un large diamètre de 13,50 mm) qui oscille à la fréquence traditionnelle de 18’000 oscillations/heure, avec ses masselottes de réglage en or rose, et le mouvement synchronisé de ses deux roues d’échappement. Celles-ci fournissent une impulsion directe au balancier, via un plateau d’impulsion et sa levée.
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- Voutilainen KV20i Inversé. Boîte (39 mm) et couronne en titane manufacturées en interne. Cercle des minutes couleur cerise à l’avant encerclant le mouvement, orné de plots en or poli pour les quarts. Cadran et compteur de secondes couleur cerise guillochés main au dos de la boîte. Aiguilles manufacturées en or. Bracelet cousu main en veau et tissu couleur cerise.
Outre l’harmonie du spectacle ainsi offert à la vue, cette construction innovante, qui diffère du traditionnel échappement à ancre suisse, nécessite moins d’énergie que celui-ci. Il en résulte des «bénéfices notables pour un usage quotidien», comme le dit Kari Voutilainen, tout aussi bien en termes de qualité de la régulation, dans de strictes tolérances, d’efficacité, de longévité que de réserve de marche – en l’occurrence 60 heures.
Par ailleurs, un système de spiral rare, si ce n’est unique, y a été implémenté. Sa particularité est d’avoir une courbe Philips dans sa courbe extérieure et une courbe Grossmann dans sa courbe intérieure. Une combinaison qui augmente encore sensiblement sa précision de battement.
Tolérances drastiques
Chaque détail de ce mécanisme – qui ne comporte pas moins de 31 rubis – s’ouvre à l’œil sur sa face «inversée», affichant heure et minute – seule la petite seconde s’affiche au dos. C’est ainsi l’occasion d’admirer exhaustivement l’expertise artisanale des finitions des ateliers Voutilainen. Les tolérances sont drastiques et «exceptionnellement uniformes», qu’il s’agisse des surfaces plates et polies des pignons et des roues, du niveau des états de surface des platines et des ponts en maillechort, de l’acier des vis et des pièces mécaniques. Le moindre des éléments est strictement fini, décoré, anglé et poli main.
Avant d’arriver sur l’établi des artisans décorateurs, chaque mouvement a été assemblé une première fois par un horloger, ce qui lui aura pris en l’occurrence un mois et demi, puis intégralement redémonté, transmis à l’atelier de décoration (qui mettra autant de temps à terminer tous les composants) et enfin remonté à nouveau pendant un nouveau mois et demi.
On comprendra facilement pourquoi, avec de telles exigences, la production de Voutilainen ne peut qu’être très limitée (60 à 70 montres par an).
Atmosphère des ateliers
A ce propos, il convient de dire quelques mots sur l’organisation et l’esprit des ateliers Voutilainen, auxquels s’ajoutent désormais ceux de Brodbeck Guillochage. Si un tel degré de qualité et d’engagement y est à l’œuvre c’est grâce à une organisation parfaitement horizontale. Il n’y a pas de «petit chef» dans les ateliers. Chaque horloger, chaque artisan est totalement responsable de la montre dont il a la charge, que ce soit en montage ou en décoration. Tous sont des horlogers ou des décorateurs complets, capables d’accomplir tous les gestes de leur pratique. Il n’y a donc pas de hiérarchie.
Homme aussi doux et amoureux de l’horlogerie que déterminé, Kari Voutilainen fonctionne à l’instinct. Et jusqu’à présent, ça lui a plutôt réussi. Il ne choisit pas ceux qui l’entourent selon l’épaisseur de leur CV mais selon ce qu’il ressent en leur présence. Et dès lors, il fait confiance.
Ce mode de fonctionner, de responsabiliser, se discerne d’emblée dans les ateliers. Il y règne une atmosphère paisible et conviviale à la fois, tout aussi concentrée que légère. Une forme de respect mutuel entre gens d’égalité.
L’exemple le plus frappant de ce fonctionnement «à l’instinct» est le choix qu’a fait Kari Voutilainen d’engager, il y a cinq ans déjà, une toute jeune femme, Angélique Singele, 31 ans, nommée Directrice des opérations de Voutilainen et, tout récemment, Directrice générale de Brodbeck Guillochage.
Le musée vivant du guillochage main
Inauguré cet automne dans les locaux entièrement refaits de l’ancienne École d’Horlogerie de Fleurier, Brodbeck Guillochage possède un parc de machines à guillocher unique au monde. Un véritable musée, mais vivant et intégralement fonctionnel, qui regroupe une trentaine de machines historiques toutes restaurées par Georges Brodbeck, dont l’une des plus anciennes date de 1913 (il faut savoir qu’on ne fabrique plus de machines à guillocher main depuis les années 1950).
Parmi celles-ci, on compte 25 tours à guillocher et à lignes droites et 5 rares machines à tapisserie, avec leur véritable trésor de plus de mille patrons (les machines à tapisserie permettent de copier un décor gravé sur un patron de bronze, voire de verre, en le transcrivant et le miniaturisant sur un objet à guillocher, que ce soit un cadran de montre mais tout aussi bien un bijou, un briquet, une boîte métallique, un instrument d’écriture, etc…).
Pour actionner ces machines aussi augustes et impressionnantes que très complexes, une équipe de six personnes travaille aujourd’hui dans ces ateliers. Tous et toutes, dûment formés, sont totalement polyvalents, maîtrisent toutes les machines ainsi que leur métier de A à Z.
Un des guillocheurs de Brodbeck nous fait part de son enthousiasme: «J’ai longtemps travaillé au guillochage dans une entreprise horlogère où chacun était attribué à une seule machine, à effectuer donc une tâche répétitive. Ici, c’est complétement différent. Nous sommes tous capables de travailler sur toutes les machines, l’humain est au centre et c’est non seulement valorisant mais aussi passionnant.»
Et de s’extasier devant «l’incroyable ingéniosité de nos ancêtres, qui ont été capables de créer de telles machines sans l’aide d’ordinateurs, avec leurs crayons et leurs mains. D’ailleurs, nous explique-t-il en souriant, il n’y a pas longtemps des ingénieurs en ont désossée une pour la copier et en reconstruire une nouvelle. Et bien ils ont renoncé. Leur machine ne fonctionnait pas bien du tout.»
Transmission
«La transmission de ce savoir, nous explique Angélique Singele, n’est possible que si l’on maîtrise le tout. Y compris la mécanique. Et Georges Brodbeck – qui continue à prodiguer ses conseils et à partager son savoir – a formé lui-même un mécanicien capable d’intervenir sur toutes les machines. La transmission de ce métier d’art qui était au risque de disparaître est au cœur de notre action. Il n’existe pas d’école qui enseigne le guillochage. Nous sommes donc ouverts à former de nouvelles personnes pour en assurer la survie. Et nous voulons remettre l’art du guillochage main au goût du jour, l’exercer de façon contemporaine en dépassant la seule tradition. D’ailleurs, suite à l’inauguration de Brodbeck Guillochage, nous avons déjà constaté que des jeunes s’y intéressaient, de plus en plus sensibles qu’ils sont au côté artisanal de cette pratique.»
Par ailleurs, Brodbeck Guillochage s’apprête à ouvrir sous le même toit et dans un futur proche des ateliers d’émaillage, de gravure, de marqueterie de pierre, de bois, de paille… Un véritable pôle regroupant des métiers d’art se met en place.
«Nous travaillons naturellement pour Voutilainen, explique Angélique Singele, mais nous sommes ouverts à toute proposition de tiers, que ce soit pour un seul cadran en pièce unique, un bijou, une bague, par exemple, ou de petites séries limitées pour des marques ou des indépendants. Les possibilités créatives sont littéralement infinies et nos clients peuvent venir avec leurs idées de design ou nous pouvons collaborer avec eux et leur faire des propositions. Tous est ouvert. Mais comme chaque cadran est fait main, il n’y a pas de rabais de quantité, dit-elle en souriant, car chaque pièce est en fait unique.»
FONCTIONNEMENT D’UN TOUR À GUILLOCHER MAIN TRADITIONNEL
- La pièce maîtresse du tour à guillocher est constituée d’un jeu de cames, les rosettes, découpées selon des formes particulières. Ce terme de rosettes a donné le nom anglais «rose engine». Ce n’est pas le dessin de la came qui sera reproduit sur l’objet à guillocher mais c’est l’action du «doigt» – pointu ou plat – sur la came qui guidera le mouvement du trait dans la matière, trait creusé par le burin.
- Le tour à guillocher, contrairement aux tours classiques, réalise un mouvement d’oscillation permettant au burin de tracer des décors très variés, circulaires ou rectilignes. C’est la multitude des traits, leur entrecroisement et leur jeu de profondeur qui vont créer le décor. L’angle du burin permet de créer des traits de largeur différente.
- En plus de déterminer le motif du guillochage, les cames permettent d’ajuster l’espace entre chaque sillon. Celui-ci peut être régulier ou progressif selon l’effet escompté. La multitude de combinaisons de cames et les nuances apportées par l’intervalle des sillons ouvrent une infinité de possibilités de décors qui ne cessent d’être composés et découverts aujourd’hui encore. La qualité du décor va dépendre grandement des mouvements de la main de l’artisan qui doit impulser un mouvement constant et sans perturbation. La main est capitale, au cœur du métier. Chaque cadran est ainsi unique, qui contient en quelque sorte «l’âme» de son guillocheur.