Je suis originaire de Reims en France. Je n’avais pas de vignes, donc je me suis lancé dans l’horlogerie», plaisante Stéphane Greco, avec son aplomb coutumier. Le Champenois décide très jeune de se spécialiser en galvanoplastie. Arrivé en Suisse en 1991, il travaille successivement chez ETA, Rolex, Stern Créations, enfin Franck Muller avant de se lancer en indépendant.
Son souvenir le plus marquant reste celui de Franck Muller, où il avait carte blanche et travaillait également, outre les mouvements et les cadrans, sur l’habillage. «Il était mon mentor, quelqu’un de très humain, créatif et sensible qui laisse leur chance aux nouveaux. Je me suis dit que lorsqu’il partirait, je me mettrais à mon compte, ce qui s’est produit en 2004. Il m’a toujours soutenu et donné de bons conseils. Il me disait de ne jamais revenir en arrière et d’assumer les choix que je faisais.»
Il faut dire que Stéphane Greco cultive l’esprit d’indépendance et a un caractère bien trempé! Il était donc inévitable qu’il finisse par voler de ses propres ailes. «Dès que je rejoignais une compagnie, je voulais devenir patron, pour avoir une forme de liberté. Je préfère travailler 16h par jour en liberté que 8h en me sentant à l’étroit. Aujourd’hui, je suis libre de choisir quels clients je veux, même si le contexte est difficile et que je suis de plus en plus embêté par des normes sans aucune utilité. Ce n’est pas de la prétention.»
- OBJET
- «Cela fait deux ans et demi que je roule avec ce gyropode. Ce n’est pas forcément naturel, il faut une dizaine d’heures d’entraînement pour s’y habituer. Cela me permet de naviguer très rapidement en ville et c’est un objet un peu futuriste, qui convient bien au fan de science-fiction que je suis.»
Fragments de météorites
Aujourd’hui, avec sa société Rhodior, il fournit de nombreux horlogers: Roger Dubuis, Frédérique Constant, Dubois & Fils, Patek Philippe, Harry Winston, Vacheron Constantin, MB&F, Bovet Fleurier, Ludovic Ballouard ou encore Antoine Preziuso... Pour lui, la galvanoplastie est cependant un métier assez ingrat: «On est généralement dans l’ombre, sauf s’il y a le moindre problème: là, c’est le cataclysme! L’horlogerie mécanique est logique, mais la chimie a une part d’impondérable. Un orage peut perturber l’équilibre de mes bains. Il s’agit de comprendre ce qu’il y a au cœur de la matière. C’est comme la peinture: si vous voulez repeindre un mur en rose, des aspérités vont apparaître.»
A force d’acheter les montres de ses clients, l’envie lui a pris d’en fabriquer lui-même... Il y a deux ans, l’entrepreneur lance donc sa propre marque, Greco Genève. Sa marque de fabrique: la montre en forme d’écrou, pour un prix public allant de 5’000 à 12’000 francs. Stéphane Greco est un passionné d’automobile, au point d’avoir localisé son showroom, aménagé comme l’intérieur d’une météorite, au sein du garage Lamborghini à Genève! «C’était intéressant de concevoir une montre qui n’ait pas la forme d’une montre. Je travaille sur des séries de huit exemplaires pour la collection des montres écrous, sinon il ne s’agit que de pièces uniques.»
La collection écrou a été baptisée «Les Temps modernes», en référence au film de Charlie Chaplin où celui-ci se retrouve pris dans les rouages d’une chaîne de montage. La collection carrée «Timesquare» s’adresse aux hommes comme aux femmes; la collection ronde «Timelace» est très aérienne en comparaison; la «Trancetime» est une collection entièrement fluorescente; enfin, il y a le modèle Astéroïde... «Une montre-concept, une première «galactique» que je ne vendrais pas à moins d’un million de francs. Je suis cristallographe et gemmologue de formation et j’adore les pierres, la science-fiction... J’utilise un fragment d’une météorite ferreuse tombée il y a 5’000 ans à Campo del Cielo en Argentine. Antoine Preziuso ou Rolex avaient déjà réalisé des cadrans en météorite mais là j’utilise une météorite brute. Et contrairement aux météorites pierreuses, les météorites ferreuses sont très rares.»
Montres luminescentes
Stéphane Greco a investi 1,5 million de francs pour le développement des montres, soit... tous les bénéfices de Rhodior. Sa peinture fluorescente, utilisée notamment sur le modèle météorite et plus puissante que le superluminova, lui a pris des années de conception. L’histoire est rocambolesque: «Les banques centrales ont un monopole sur ces pigments anti-contrefaçon mais je m’en étais procuré des échantillons. Un jour, j’ai reçu un appel de la Banque centrale européenne: ils ont fait une «descente» chez moi pour voir quelles étaient mes intentions. Ils étaient très sérieux mais lorsque j’ai éteint la lumière pour qu’ils voient mes montres fluorescentes, ils ont été très rapidement impressionnés et rassurés. Ils m’ont donné le droit de commander une quantité illimitée de pigments, mais une fois seulement. J’ai vidé mon compte en banque et en ai acheté pour 25’000 francs, ce qui suffira à durer pour plusieurs générations car des quantités infinitésimales de pigments suffisent.»
Quel bilan deux ans plus tard? «C’est sûr que je lance une marque au mauvais moment... Mais je sens que la clientèle est en train de se réveiller après des débuts difficile. Je suis sur un segment de prix accessible et raisonnable pour des pièces uniques Swiss made. Plus c’est la crise, plus je vends de montres carrées, plus conventionnelles.»
L’horloger, qui ne fait presque que de la personnalisation, travaille en direct et avec des agents: «Les distributeurs exagèrent, l’un d’eux est venu me voir à Baselworld et voulait prendre une commission de 75%! Ils sont habitués à des marges folles. Les agents prennent 20% et du stock en confié. En outre, il faut être dans le noir et en mode UV pour voir la fluorescence, pas idéal pour une vitrine de détaillant... Mes espoirs reposent sur les Etats-Unis, la France et la Suisse en priorité. Ce sont des montres fluorescentes qui conviennent bien au monde de la nuit, pour des DJ par exemple.»
Photographie Stéphane Greco | Arcade Europa Star