Le marché horloger allemand


Notre série sur l’horlogerie allemande

INTRODUCTION

juillet 2024


Notre série sur l'horlogerie allemande

On parle surtout football en ce moment lorsqu’on évoque l’Allemagne (et d’ailleurs bien souvent même hors du contexte de l’Euro 2024, tant ce sport y est populaire). Mais on devrait aussi parler d’horlogerie, tant cette tradition y est tout aussi importante, quoique fortement bouleversée par les aléas de l’Histoire. C’est pourquoi nous initions une série sur l’horlogerie allemande et ses acteurs.

D

e nos jours, la Suisse est incontestablement le leader mondial de l’horlogerie mécanique avec 16,9 millions de montres exportées en 2023, pour un total de CHF 25,5 milliards. Il n’en a pas toujours été ainsi. La France et le Royaume-Uni se sont longtemps disputés la suprématie horlogère, notamment avec le développement stratégique des chronomètres de marine pour asseoir leur domination navale.

De son côté, comment l’horlogerie allemande a-t-elle affirmé sa spécificité tant en termes d’évolution, de design que de positionnement? Nous lui consacrons une série en plusieurs épisodes.

Les premières traces d’horlogerie en Allemagne remontent au 16ème siècle avec le développement des horloges d’édifice qui font naître un savoir-faire local. Certains attribuent même la naissance de la première montre portative à l’horloger de Nuremberg Peter Henlein en 1504. Sans entrer dans ce débat historique, il est clair que l’horlogerie allemande repose sur une tradition ancienne et a elle aussi bénéficié de l’exode des Huguenots de France suite à la révocation de l’Edit de Nantes en 1685.

La première montre portative attribuée à l'horloger de Nuremberg Peter Henlein
La première montre portative attribuée à l’horloger de Nuremberg Peter Henlein

À partir du 18ème siècle, deux régions émergent comme les terroirs les plus fertiles de l’horlogerie allemande: Pforzheim dans le Sud-Ouest, et Glashütte, à l’Est, en Saxe. L’essor de l’horlogerie dans la première région débute dès 1760, lorsque Jean-François Autran, maître bijoutier d’origine française, établit la première usine de production de joaillerie et d’horloges à Pforzheim. On trouve aujourd’hui dans cette région des marques qui perpétuent cette tradition comme Junghans ou Hanhart. A la même époque, la seconde région s’affirme comme l’autre épicentre de l’horlogerie allemande. Elle abrite aujourd’hui certains des plus grands noms de l’horlogerie nationale, tels A. Lange & Söhne, Glashütte Original ou Nomos.

Europa Star, 1991
Europa Star, 1991

L’un des plus célèbres horlogers allemands fut Friedrich Gutkaes (1785-1845). Basé à Glashütte, ses créations de montres de poche peuvent être admirées au Musée allemand de l’horlogerie à Furtwangen dans la Forêt-Noire. Il a accueilli son plus célèbre apprenti, Ferdinand Adolph Lange, en 1841. Ce fut le début de l’essor de Glashütte comme centre névralgique de l’horlogerie allemande. Poussé par la course au chronomètre de marine, Lange reprend l’atelier de Gutkaes et fonde sa manufacture dans ce petit village d’une vallée minière près de Dresde.

Il est intéressant de noter que le développement de l’horlogerie en Allemagne a été porté par les besoins militaires, tout comme en France ou au Royaume-Uni. En effet, après la marine, c’est encore l’armée qui pousse à la création des Beobachtungsuhren, montres chronomètres d’observation de poche, pour accompagner les officiers. La miniaturisation qui mènera aux montres de poignet s’effectue aussi en Allemagne à cette époque.

Pilotes avec montres de pilote de Laco. ©Laco Uhrenmanufaktur GmbH
Pilotes avec montres de pilote de Laco. ©Laco Uhrenmanufaktur GmbH

Le début du 20ème siècle et ses deux guerres mondiales aura un impact crucial sur l’horlogerie allemande. De nombreuses marques utilisaient des mouvements suisses à l’époque, mais la marque Laco voulait produire ses propres calibres. En 1933, une manufacture de mouvements allemands fut inaugurée sous le nom de Durowe. En 1940, l’usine produisait 300’000 calibres vendus à de nombreuses marques allemandes. L’effort de guerre poussera donc l’activité horlogère dans tout le pays, qui subira ensuite une séparation en deux blocs.

La cité de Glashütte se retrouve du côté de la RDA, sous régime communiste. Le conglomérat d’état Glashütter Uhrenbetrieb (GUB) est créé, regroupant toutes les manufactures et ateliers de la place, pour produire des montres standardisées à grande échelle. L’horlogerie allemande de qualité est largement mise entre parenthèses jusqu’à la chute du mur de Berlin en 1989, qui sonnera la renaissance de l’industrie et de bon nombre de ses marques historiques Outre-Rhin.

 Visiteurs sur un stand de salon avec des montres de VEB Mechanik Glashütter Uhrenbetriebe. ©Deutsche Fotothek
Visiteurs sur un stand de salon avec des montres de VEB Mechanik Glashütter Uhrenbetriebe. ©Deutsche Fotothek

Aujourd’hui, l’horlogerie allemande se pose en alternative au leader suisse. Elle se caractérise entre autres, et selon ses acteurs, qui par sa rigueur, qui par sa précision, son rapport qualité/prix avantageux ou encore son design épuré. Cette industrie est aussi largement interconnectée avec l’horlogerie suisse. En effet, deux des plus grands noms de l’horlogerie allemande, A. Lange & Söhne et Glashütte Original, sont depuis l’an 2000 en mains des deux grands groupes horlogers suisses, respectivement, Richemont et Swatch Group. De même, comme nous le verrons dans notre dossier, bien que certaines manufactures produisent leurs propres calibres, les mouvements utilisés par de nombreuses marques indépendantes allemandes sont d’origine suisse.

Europa Star, 2001
Europa Star, 2001