Les Mystères du Temps


Dans les mystères de l’espace-temps

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mars 2024


Dans les mystères de l'espace-temps

Le temps joue un rôle essentiel en physique, prenant des visages déroutants qui défient notre entendement. Visite guidée en cinq actes.

1. Cosmologie
LA NAISSANCE DU TEMPS

Notre Univers existe depuis environ 13,8 milliards d’années, nous disent les astronomes. Cette estimation s’appuie entre autres sur l’observation que les galaxies s’éloignent d’autant plus vite de nous qu’elles sont éloignées, et ceci quelle que soit la direction où elles se trouvent. A moins que la Terre ne se trouve par hasard au plein centre de l’Univers, ce phénomène s’explique par un modèle issu de la relativité d’Einstein: l’Univers ressemble à la surface d’un ballon en train de gonfler et dont tous les points s’éloignent les uns des autres. Les astronomes mesurent la vitesse de cette expansion et, l’inversant, peuvent estimer que notre Univers-ballon a commencé à grandir il y a 13,8 milliards d’années. Ce moment originel où tout l’Univers était concentré en un seul point, c’est le fameux Big Bang.

Qu’y avait-il donc avant le Big Bang? Probablement rien – non pas dans le sens de l’absence de chose, comme le vide intersidéral, mais dans un sens essentiel du terme. Car le Big Bang correspond à l’apparition soudaine de tout l’Univers, autant avec son espace qu’avec son temps. Il n’y a donc rien «autour» du Big Bang, et rien «avant» lui: le Big Bang marque la naissance du temps.

Une possibilité serait que le Big Bang de notre univers provienne du Big Crunch d’un univers précédent, à savoir le moment où ce dernier se serait effondré sur lui-même, sa masse ayant stoppé et inversé son expansion. Son temps aurait disparu au moment du Big Crunch pour laisser la place à un nouveau temps – celui de notre Univers. Certaines théories imaginent des multivers telles des bulles de savons d’une mousse cosmique géante, explosant, naissant et se démultipliant à une échelle dépassant notre entendement.


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2. Dilatation temporelle
LE RENDEZ-VOUS IMPOSSIBLE

En principe, facile de se retrouver à 12h15 pour un déjeuner: il suffit d’avoir des montres à l’heure. Mais Einstein a révélé qu’un tel rendez-vous est – en principe – impossible. Sa théorie de la relativité montre que le temps ne s’écoule pas suivant une horloge universelle consultable par tout le monde, mais dépend de nos mouvements relatifs. On partage ainsi son temps – et sa perception des événements simultanés survenant à la même heure – uniquement avec les gens ou les choses qui se déplacent dans la même direction et à la même vitesse que nous.

Plus un objet va vite par rapport à nous, plus son temps relatif s’écoulera lentement comparé à notre cadre de référence. Cette idée déroutante a été maintes fois confirmée. Les particules créées dans l’atmosphère terrestre par l’impact d’un rayon cosmique devraient normalement se désintégrer avant d’avoir atteint la surface de la Terre, mais elles y arrivent quand même: leur vitesse, proche de celle de la lumière, fait que leur temps propre s’écoule plus lentement que le nôtre, leur permettant de survivre plus longtemps que si elles se déplaçaient plus lentement.

Des effets temporels similaires sont créés par la gravitation, la force qui nous tire vers le centre de la Terre. Plus la gravité est importante, plus le temps passe lentement. Dans les satellites GPS, l’attraction gravitationnelle légèrement plus faible induit un passage du temps plus rapide – un effet qui doit être intégré dans la triangulation localisant un récepteur GPS à quelques mètres près. Même notre tête vieillit ainsi plus rapidement que nos pieds, mais seulement d’un demi millionième de seconde sur toute notre vie.


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3. Le sens du temps
QUE LE DÉSORDRE RÈGNE!

L’espace et le temps sont intrinsèquement liés, selon Einstein. Mais une différence semble évidente: si l’on peut avancer ou reculer, aller à gauche ou à droite, en haut ou en bas, le temps, lui, ne semble couler que dans une seule direction: vers le futur. Cela a beau nous paraître évident, cela reste un point difficile pour la physique. Car les lois fondamentales de la nature qui régissent le comportement des particules élémentaires sont indifférentes au sens du temps. On peut inverser ce dernier sans problème sans changer quoi que ce soit. Le physicien Richard Feynman a même montré que le positron – la particule symétrique de l’électron qu’on utilise dans des technologies d’imagerie médicale – est l’équivalent formel d’un électron voyageant à rebrousse-temps.

C’est la thermodynamique qui donne un sens au temps. Elle fait le lien entre les phénomènes microscopiques – comme des molécules d’air s’entrechoquant – et macroscopiques, comme la température de l’air ou la pression atmosphérique. La Seconde Loi de la thermodynamique décrète que l’entropie – l’état de désordre – d’un système isolé ne peut qu’augmenter. Un verre peut tomber et se briser, mais jamais les milliers de débris ne se recolleront spontanément pour recréer le verre entier.

Mais cette loi ne tient pas lorsqu’un système dispose d’énergie pour organiser les choses, comme la gravitation qui créé des étoiles à partir de gaz d’hydrogène. En tirant de l’énergie du Soleil ou de sucres, la matière vivante s’arrange en des êtres complexes capables de fabriquer du verre, ranger leur appartement et écrire des textes sur le désordre.


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4. Voyage dans le temps
EMBARQUEMENT IMMÉDIAT POUR LE PASSÉ

Voyager vers le futur est possible, du moins de manière très indirecte. On peut se cryogéniser et se réveiller dans mille ans, ou passer un moment à proximité d’une planète supermassive, comme dans le film Interstellar, afin que notre temps personnel passe plus lentement que celui sur Terre. Mais il s’agit davantage de prolonger sa vie pour pouvoir connaître un avenir lointain que d’effectuer un vrai saut dans le futur.

La possibilité de voyager dans le passé créerait forcément des paradoxes insolubles: une personne retournant dans le passé pour y tuer ses parents avant leur rencontre empêchera sa propre existence et donc son voyage dans le temps ainsi que le meurtre qu’il vient de commettre. Est-ce qu’un voyage dans le passé, en modifiant nécessairement le présent, créerait un univers parallèle? Ou est-ce qu’une loi de «censure cosmique» empêcherait tout événement susceptible de créer un tel paradoxe?

Des physiciens tel que Kip Thorne ont avancé des concepts de voyage dans le temps à travers un trou de ver, une structure théorique de l’espace-temps connectant un trou noir à un trou blanc (l’inverse d’un trou noir). De la même manière qu’une feuille repliée sur elle-même permet de passer d’un endroit à l’autre du papier sans devoir en faire le tour, un trou de ver permettrait de se rendre rapidement à un point éloigné de l’espace-temps, y compris dans le passé. Reste que la création et stabilisation d’une telle structure exotique de l’espace-temps, si elle n’est pas explicitement interdite par la physique actuelle, reste de l’ordre de l’imaginaire.


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5. Déterminisme
A LA RECHERCHE DE NOTRE LIBERTÉ

Le temps est un ingrédient crucial dans la causalité, toute cause devant précéder son effet. La science l’utilise pour prédire l’évolution d’un système, par exemple la position et vitesse de la planète Mars le 7 février 2074. En 1825, le scientifique français Laplace énonça un argument soutenant un déterminisme implacable: la Nature étant sujette à des lois physiques déterministes, connaître aujourd’hui notre Univers dans tous les détails permettrait en principe de calculer et ainsi prédire son état à l’avenir.

Cela est impossible à réaliser en pratique, notamment à cause de la trop grande complexité de notre réalité: c’est ce qu’on appelle une évolution «chaotique», exemplifiée par la trajectoire de la bille dans une roulette. Mais en admettant que nos pensées ne sont rien de plus qu’une manifestation de processus biochimiques se déroulant dans notre cerveau, l’avenir semblerait être déjà écrit, même si imprévisible. Toutes nos réactions, décisions et actions seraient alors une conséquence inéluctable du passé, et nous serions comme un piano mécanique ne pouvant que jouer la musique consignée dans le papier à trous le nourrissant.

La mécanique quantique développée au début du 20ème siècle brise ce déterminisme absolu en révélant qu’une part intrinsèque de hasard régit les phénomènes microscopiques. Qu’un électron enclenche une réaction chimique ou non est, en partie, un processus probabiliste. Ce hasard fissure certes l’écrasante fatalité du déterminisme laplacien, mais ne laisse guère de place au libre arbitre, à savoir la capacité de décider «par nous-même» et de moduler «par notre volonté» le résultat soit déterminé, soit aléatoire, des processus biochimiques se déroulant dans nos neurones. Dans une telle vision réductionniste, notre libre arbitre ne serait qu’une illusion – l’équivalent des hallucinations des intelligences artificielles popularisées par ChatGPT.