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Pour ses 250 ans, Breguet se réapproprie le modèle de la souscription

avril 2025


Pour ses 250 ans, Breguet se réapproprie le modèle de la souscription

Souvent copié, jamais égalé, Abraham-Louis Breguet a fait tant d’émules, en tant que père de l’horlogerie moderne, de ses complications, de ses codes et même de ses modèles d’affaires, que la marque qui porte aujourd’hui son nom n’est de loin pas la seule à se réclamer de son héritage. Un défi à relever pour son nouveau CEO Gregory Kissling, mais un chemin commence à être tracé puisque la marque lance son anniversaire en reprenant une innovation du maître horloger qui reste éminemment contemporaine, comme l’ensemble de son œuvre: le modèle de la souscription. Une manière de s’en réapproprier la primauté. Tout en proposant un nouveau type d’or. Explications.

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éfugié au Locle, dans son canton de Neuchâtel natal, en 1793 pour se protéger des affres de la Révolution française après avoir servi le roi et la reine, Abraham-Louis Breguet s’est peut-être demandé, à ce moment-là, ce que l’avenir lui réservait. Il n’était cependant pas homme à se laisser dicter son sort par les événements. Favorisé par un sens des affaires au moins aussi aiguisé que pouvaient l’être ses choix esthétiques et son ingéniosité mécanique, il développe alors, pour se relancer, un modèle de commercialisation qui fera date: la souscription, que l’on pourrait tout aussi bien renommer «crowdfunding» aujourd’hui.

L’idée est simple mais brillante: trouver les acquéreurs avant de démarrer la production d’une montre que l’on peut qualifier de série, contre les us de l’époque, afin de se prémunir de tout risque commercial (problématique encore très moderne dans une industrie qui a parfois du mal à bien calibrer ses stocks en fonction de la demande fluctuante aujourd’hui). En environ trente ans, de retour à Paris à la tête de son atelier comptant une dizaine de personnes, Abraham-Louis Breguet produira quelque 700 montres selon ce modèle innovant – des chiffres conséquents pour la période. Il innove aussi en développant un prospectus pour faire la réclame de cette souscription, ancêtre de la publicité horlogère contemporaine.

Pour ses 250 ans, Breguet se réapproprie le modèle de la souscription

Le terme «Souscription» figure dès 1796 dans les registres de ventes de la maison Breguet. Cette pièce mono-aiguille est principalement commercialisée dès 1797.
Le terme «Souscription» figure dès 1796 dans les registres de ventes de la maison Breguet. Cette pièce mono-aiguille est principalement commercialisée dès 1797.

Symbolique? C’est ce modèle du renouveau, ayant ouvert l’atelier de Breguet à un public plus large, qui étrenne les célébrations des 250 ans de la marque, dotée depuis octobre dernier d’un nouveau CEO en la personne de Gregory Kissling, lui-même Neuchâtelois, à l’aise à la fois dans les réalités commerciales et industrielles (il a longtemps été responsable du développement produit chez Omega, vaisseau amiral de Swatch Group).

Grégory Kissling, CEO de Breguet
Grégory Kissling, CEO de Breguet

Comme du temps d’Abraham-Louis Breguet, la nouvelle Classique Souscription, non limitée, peut ainsi être commandée en réglant le quart de son prix (45’000 CHF TTC) en amont, le solde à la livraison. Une version fidèle à la montre de poche d’époque, d’un grand diamètre d’environ 61 mm, pourvue d’un cadran émaillé de blanc et d’un mouvement à l’architecture simple qui fut commercialisée dès 1797, et est aujourd’hui donc transposée sur montre-bracelet. Vous vous attendiez à voir un tourbillon pour démarrer le 250ème anniversaire de Breguet? Faux! Voici un affichage à mono-aiguille qui en surprendra plus d’un…

Vous vous attendiez à voir un tourbillon pour démarrer le 250ème anniversaire de Breguet? Faux! Voici un affichage à mono-aiguille qui en surprendra plus d’un…

Pour ses 250 ans, Breguet se réapproprie le modèle de la souscription

Glace chevée et or Breguet

Pureté esthétique, grande élégance, où tout se joue dans le détail: cadran en émail grand feu blanc éclatant, aiguille unique Breguet à pomme évidée en acier bleuie à la flamme à 290C° précisément de la main d’une artisane (un processus jusqu’alors réservé aux restaurations), célèbres chiffres arabes Breguet légèrement inclinés, chemin de fer circulaire dont la sectorisation au graphisme spécifique indique les heures et le marquage des 5, 10, 15 et 30 minutes en émail petit feu noir, la même teinte sombre que la griffe Breguet qui culmine à 12h.

L'aiguille unique Breguet du modèle, à pomme évidée en acier, est bleuie à la flamme et courbée à la main.
L’aiguille unique Breguet du modèle, à pomme évidée en acier, est bleuie à la flamme et courbée à la main.

La beauté réside aussi dans ce qui ne se voit pas du premier regard, telle la signature secrète apparaissant, selon la lumière, juste en-dessous du centre du cadran. Généralisée sur la montre de Souscription, cette signature visait à authentifier le travail des ateliers Breguet et lutter contre la contrefaçon. A l’occasion du 250ème anniversaire, un pantographe à pointe diamantée a été restauré, équipé de bras articulés pour graver délicatement dans l’émail cette garantie d’identification.

 Généralisée sur la montre de Souscription, la signature secrète est réalisée à l'aide d'un outil précis équipé de bras articulés pour reproduire un motif: le pantographe.
Généralisée sur la montre de Souscription, la signature secrète est réalisée à l’aide d’un outil précis équipé de bras articulés pour reproduire un motif: le pantographe.

Autre innovation d’Abraham-Louis Breguet: une glace au profil dit chevé, présentant une surface relativement plate qui s’incurve doucement vers les bords afin de s’intégrer harmonieusement dans le boîtier.

Le nouvel or Breguet est un métal précieux à la robe blonde qui marie or, argent, cuivre et palladium.
Le nouvel or Breguet est un métal précieux à la robe blonde qui marie or, argent, cuivre et palladium.

Mais tout n’est pas que remise au goût du jour ou adaptation d’innovations des siècles passés: sur la Classique Souscription 2025, la marque introduit son propre alliage aurifère, l’«or Breguet», dont la robe blonde est le fruit du mariage de 75% d’or avec de l’argent, du cuivre et du palladium (Gregory Kissling a développé de nombreux nouveaux alliages chez Omega, ndlr). Cet alliage, dont la teinte s’inspire de ce que l’on nommait au 18ème siècle l’«or des horlogers», conçu alors pour répondre à des exigences de résistance, de durabilité et d’esthétique, est utilisé pour façonner la boîte de 40 mm de diamètre et 10,8 mm de hauteur. Les habituelles cannelures cèdent leur place à une carrure délicatement satinée pour respecter la stylique des pièces d’origine.

Guillochage Quai de l’Horloge

Le dos de ce premier modèle du 250ème anniversaire s’inspire lui aussi directement de l’architecture des premières montres de Souscription signées Abraham-Louis Breguet. Le mouvement en laiton doré reprend la teinte de l’or Breguet. Le fond du boîtier est lui décoré d’un tout nouveau type de guillochage baptisé Quai de l’Horloge (l’adresse de l’atelier du maître horloger à Paris, ce nouveau dessin s’inspirant des formes de l’île de la Cité et de l’île Saint-Louis). Le guillochage, autre marque de fabrique de Breguet…

Le fond de la boîte est décoré d'un tout nouveau type de guillochage dévoilé cette année, baptisé Quai de l'Horloge.
Le fond de la boîte est décoré d’un tout nouveau type de guillochage dévoilé cette année, baptisé Quai de l’Horloge.

Le nouveau calibre VS00 battant à la fréquence de 3Hz (21’600 alternances par heure) délivre au moyen de son seul barillet une réserve de marche de quatre jours. Il intègre un spiral NivachronTM en alliage amagnétique essentiellement composé de titane, bleui et terminé d’une courbe Breguet. La platine et les ponts sont finement grenaillés, une nouvelle décoration qui s’inspire directement des mouvements d’Abraham-Louis Breguet.

Le mouvement s'inspire directement de l'architecture des premières montres de Souscription signées A.-L. Breguet.
Le mouvement s’inspire directement de l’architecture des premières montres de Souscription signées A.-L. Breguet.

L’imposante roue dentée du rochet accueille une inscription gravée des mots du fondateur, expliquant la conception du mouvement de la Souscription et tirés de son prospectus publicitaire, qui sont reproduits dans son écriture cursive caractéristique.

Enfin, Breguet dévoile un écrin inédit en cuir de veau à l’occasion de cet anniversaire, inspiré des étuis rouges en cuir marocain utilisés autrefois par Abraham-Louis Breguet. On croirait voir l’objet d’époque resurgir des temps.

Réclamer sa primauté

Aiguilles Breguet, chiffres Breguet, spiral Breguet… L’héritage de l’horloger est tel qu’il est entré dans le vocabulaire courant et que toutes les marques, y compris ses «concurrentes» contemporaines, en font usage. Ce qui est symptomatique du défi de la manufacture dans son aspect moderne: celle-ci doit sans cesse réclamer sa primauté, son territoire, sa singularité, alors que les codes si reconnaissables de son fondateur sont revendiqués d’un grand nombre, si ce n’est de toute l’horlogerie contemporaine. Il y n’a pas un seul héritier de Breguet, tant son impact est profond et durable…

A l’heure où l’exclusivité et la différenciation sont des valeurs cardinales du luxe, la perspective pour la marque et Grégory Kissling est donc posée: ce premier modèle, qui se réapproprie le système de la souscription adopté depuis lors par tant d’autres, semble montrer la direction.

La Classique Souscription 2025 est le premier d'une série de modèles anniversaires qui seront lancés à travers toutes les collections de la marque pour ses 250 ans. C'est aussi la première fois que la manufacture reprend pratiquement à l'identique une montre de poche en l'adaptant au format montre-bracelet, en respectant le plus justement possible l'architecture de la pièce d'origine.
La Classique Souscription 2025 est le premier d’une série de modèles anniversaires qui seront lancés à travers toutes les collections de la marque pour ses 250 ans. C’est aussi la première fois que la manufacture reprend pratiquement à l’identique une montre de poche en l’adaptant au format montre-bracelet, en respectant le plus justement possible l’architecture de la pièce d’origine.

«Le défi est de véhiculer cette histoire, car il n’y a pas plus authentique que ce que nous faisons dans cette manufacture, explique le CEO. Tous les ingrédients sont présents, nous les exploiterons au mieux, avec une nouvelle communication.» A ses côtés, Gregory Kissling a d’ailleurs un nouveau directeur du marketing, ainsi qu’un nouveau directeur des ventes.

Après des années de domination du sport-chic, et l’éclatement de la bulle qui l’accompagnait sur le marché secondaire, la période qui s’ouvre semble plus favorable au style de Breguet, estime-t-il aussi: «Le classicisme et le quiet luxury sont favorisés aujourd’hui, l’élégance sartoriale revient sur le devant de la scène. En réalité, notre style est intemporel, il ne se base pas sur des cycles ou des tendances. Il traverse cependant des périodes qui peuvent lui être plus ou moins favorables.»

Pour ses 250 ans, Breguet se réapproprie le modèle de la souscription

Breguet ne dépend pas d’une ou plusieurs icônes comme d’autres marques. Son esthétique, classique par essence, est transversale. Quand on visite sa manufacture, on se trouve devant l’un des plus beaux appareils de production du circuit. Mais cette quête de la perfection mécanique et esthétique lui a aussi conféré une forme de discrétion et d’humilité dans un monde horloger où la différence se fait notamment sur la capacité à générer des coups d’éclat médiatiques, bon gré mal gré. Les 250 ans présentent ainsi l’occasion de se remettre au centre du jeu pour cette manufacture dont le nom ne laisse personne indifférent, dont tout le monde se sent d’une certaine manière partie prenante – les attentes en sont d’autant plus grandes.

«Le classicisme et le quiet luxury sont favorisés aujourd’hui. Notre style est intemporel, il ne se base pas sur des cycles ou des tendances. Il traverse cependant des périodes qui peuvent lui être plus ou moins favorables.»

Pour ses 250 ans, Breguet se réapproprie le modèle de la souscription

Tour du monde et vente aux enchères

Plusieurs points fort émailleront ainsi cette année placée par ce premier lancement sous le signe du renouveau. A commencer par une présentation des différentes nouveautés tout au long de l’année, en des lieux différents: «Nous entamons une tournée mondiale, qui démarre à Paris avec la Souscription et finira à Versailles, précise Gregory Kissling. Chaque collection sera animée d’un modèle anniversaire et nous chercherons à mettre en avant les liens qui peuvent exister entre le lieu du lancement et la création. Nous prendrons ainsi la parole tout au long de l’année, avec à chaque fois un ancrage local et une diffusion globale.»

Autre point fort, qui rappellera l’âge d’or des ventes thématiques horlogères: en novembre, Sotheby’s tiendra une session d’enchères entièrement dédiée à Breguet. Une composante primordiale dans le paysage horloger actuel, où la désirabilité reste largement dictée par la cote à long terme, même après les corrections sur le marché secondaire de ces deux dernières années. Quelle marque, autant que Breguet, peut prétendre s’en prévaloir? Là aussi, la manufacture a l’opportunité de faire resplendir son patrimoine et se le réapproprier, à un moment particulièrement judicieux.

Pour ses 250 ans, Breguet se réapproprie le modèle de la souscription

Pour ses 250 ans, Breguet se réapproprie le modèle de la souscription

Pour ses 250 ans, Breguet se réapproprie le modèle de la souscription

Pour ses 250 ans, Breguet se réapproprie le modèle de la souscription

«Nous nous tenons en soutien de cette vente pour authentifier les pièces, commente Gregory Kissling. Cela fait partie d’une politique très ouverte que nous avons dans l’authentification et, si besoin, la restauration de pièces anciennes. Ces deux marchés coexistent mais notre mission première reste l’innovation, y compris la manière d’améliorer l’expérience de nos clients dans nos points de vente.»

Cette quête de l’innovation, c’est peut-être le terme qui revient le plus dans le discours du nouveau CEO. C’était aussi, après tout, son expertise dans son précédent poste. Et c’est ce qui définit le mieux l’esprit d’Abraham-Louis Breguet. Lui s’était autorisé à réécrire les codes de l’horlogerie en son temps, ses héritiers quant à eux cherchent à innover tout en respectant son héritage. Une équation contradictoire, complexe, qui est aussi celle de toute l’horlogerie, mais qui se veut fructueuse, à la recherche d’un sinueux équilibre.

«C’est l’innovation qui nous distinguera dans le paysage horloger, estime Gregory Kissling. Nous pouvons jouer avec les codes de la marque, mais pas les supprimer. L’âme de Breguet ne doit pas être dénaturée.» Le modèle de la souscription pour se réapproprier un héritage, le nouvel or Breguet pour le transcender: ce premier modèle anniversaire livre certainement quelques messages cachés…

«C’est l’innovation qui nous distinguera dans le paysage horloger.»

Pour ses 250 ans, Breguet se réapproprie le modèle de la souscription