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L’horlogerie et le centre du monde

ÉDITORIAL

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avril 2025


L'horlogerie et le centre du monde

Tout membre de la vaste «communauté» horlogère internationale qui arpente les splendides allées de Watches and Wonders, file en limousine dans les hôtels de la rade de Genève et s’attable aux meilleurs restaurants, a l’impression d’être au centre du monde. Un monde brillant, étincelant, empli de trésors.

C

ertes, les nouvelles qui parviennent du front marchand, du sell-out, peuvent être déceptives, inquiétantes pour certains. Mais les grises mines auront fait une séance d’UV, les accolades resteront de rigueur, les secrets toujours bien gardés. Pour une fois que nous nous sentons «au centre du monde», on ne va pas gâcher le moment.

Mais de fait, tout le monde le sait bien. Le pétrole est au centre du monde, le business des terres rares aussi, la chimie évidemment, pour n’en citer que quelques uns. Mais l’horlogerie? Que pèse-t-elle dans la marche du monde? On s’en passerait demain, qu’est-ce que ça changerait? Rien. Ou pas grand-chose.

Elle est vulnérable, dépendante, soumise aux aléas géopolitiques et ses secousses économiques sur lesquelles elle n’a aucun pouvoir. Elle brille mais a parfois peur, dans ses cauchemars, qu’elle finisse par briller dans le vide.

Mais c’est un peu comme la poésie. Si la poésie venait à disparaître, qui s’en soucierait vraiment? Et si la musique disparaissait? Ose-t-on tenter un parallèle: l’horlogerie, c’est de la poésie. Et parfois même de la musique. Elle est inutile mais indispensable.

Une image m’a frappé, comme nous tous. Mark Zuckerberg – qui lui est au milieu du monde – dans sa nouvelle apparence musclée et virile en diable, annonçant son allégeance à Trump, portait la Hand Made 1 de Greubel Forsey. Une montre qui ne doit rien, mais strictement rien à ce qui a fait sa fortune. Son absolu contraire même. Mark Zuckerberg faisait-il ainsi de la poésie sans s’en rendre compte?

Je ne sais pas. Ce qui est par contre sûr, c’est qu’il était conscient du poids économique considérable de cet objet manuel et purement artisanal attaché à son poignet. En fait, c’était un bijou bien plus qu’une montre destinée à lui donner l’heure. Et c’est peut-être là que la joaillerie se distingue de l’horlogerie. Quand celle-ci est à la peine économiquement, la joaillerie-bijouterie semble résister en toutes circonstances, presque indifférente à la marche du monde.

Mais c’est qu’elle existe depuis la protohistoire, si ce n’est la préhistoire. Elle exprime le besoin fondamental de l’espèce humaine de se parer, de s’orner, de se faire beau et précieux. Et depuis la nuit des temps, le bijou est aussi un marqueur social, une manifestation du rang de son possesseur. En portant sa Hand Made 1 dont le prix avoisine le million de dollars, Zuckerberg faisait peut-être de la poésie sans le savoir, mais affirmait aussi sa préséance et remettait pour un instant l’église horlogère au milieu du village.

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