horlogerie n’est pas une industrie de rupture. Dans son évolution, elle est semblable au train de rouages qui animent ses mouvements: une chose génère l’autre. Bien sûr, des ruptures, dont certaines qui ont failli lui être fatales, se sont produites au cours de son histoire et l’ont forcée à s’adapter – l’industrialisation face au productivisme américain au 19ème siècle, puis l’artisanat mécanique face aux technologies quartz au 20ème siècle, plus près de nous l’essor du vintage face à la connexion de la smartwatch au 21ème siècle.
Mais fondamentalement, l’horlogerie, dans le sens classique du terme, a graduellement et continuellement évolué en suivant un chemin de filiation et de transmission. Et même au-delà des exemples d’entreprises horlogères qui ont conservé leur nature familiale, les «filiations» naturelles sont innombrables. Encore aujourd’hui.
Au cours de nos rencontres, une expression est sans cesse revenue, sous différentes formes, dans la bouche de nos interlocuteurs: «Je suis tombé dans le bain.» Et presque tous les maîtres horlogers actuels parlent de leur fascination d’enfant pour l’horlogerie, que ce soit auprès du grand-père qui bricole des réveils dans sa cave ou du père à son atelier. «D’ailleurs à la maison, on ne parlait que de ça! Quitte à s’engueuler», nous disent-ils aussi.
Le mot «passion» a été surexploité par le marketing, au risque de perdre tout réel sens. Mais il faut bien l’avouer, la passion, la vraie, est au cœur de la transmission familiale.

Nouvelles générations
Aujourd’hui, l’horlogerie est à un tournant générationnel. Et ce pour plusieurs raisons. Elle arrive au bout d’un cycle qui, disons, a (re)commencé avec la renaissance de la montre mécanique. Depuis lors, en se transformant de montre-instrument en objet de luxe, en objet statuaire, elle a repris sa préséance – en chiffres et non en volume. Elle s’est lancée dans toutes les folies mécaniques et esthétiques possibles, quitte à ne plus trop bien savoir que faire. Et là-dessus arrive une nouvelle génération. Une nouvelle génération qui va avoir un regard différent. Par-dessus l’épaule de son père, elle regarde vers son grand-père. Et l’admire. C’est la nouvelle vague vintage.
Par vintage, il ne faut pas seulement voir une nostalgie pour l’époque révolue de la «montre-instrument». Mais c’est un socle. Sur lequel construire en retenant à la fois les leçons du passé et celles du cycle qui s’achève. Pour mieux poursuivre l’aventure. Si les filles et les fils apprennent des mères et des pères, l’inverse est aussi vrai, comme nous l’ont avoué certains de nos interlocuteurs.
Régénération
A chaque changement de génération, il y a une régénération. Quelque chose qui se transmet mais aussi quelque chose qui se transforme. C’est là tout le pari de la transmission. Il faut que quelque chose change pour que rien ne change.
A cet égard, la célèbre campagne de Patek Philippe (une maison devenue familiale qui en est à sa troisième génération) est emblématique. Elle est peut-être la plus mémorable des annonces de l’horlogerie. L’objet lui-même, la montre, est un objet conçu pour être transmis – un patrimoine – mais c’est tout aussi bien transactionnel, une transmission spirituelle, un état d’esprit et un investissement qu’on cherche à passer à sa descendance. Un objet qui puisse se «régénérer» de génération en génération.
Un pari sur le temps long.
