i toutes les autres grandes marques japonaises, que ce soit Seiko, Grand Seiko, Citizen, Orient… ont des racines intrinsèquement horlogères, qui remontent au tout début du 20ème siècle voire à la fin du 19ème siècle, l’autre géant horloger nippon, Casio, est né en 1946 juste après le désastre de la Deuxème Guerre mondiale, dans un pays en ruine, et ses créateurs n’avaient au départ aucune relation avec l’horlogerie.
Le Japon était à reconstruire et d’emblée l’histoire de Casio s’inscrit dans ce sursaut de tout un peuple qui va faire passer la Japon en quelques rapides décennies d’une nation défaite et détruite à un champion technologique et à une des premières puissances économiques au monde. Tout commence donc après-guerre, dans un atelier occupé à créer de petits composants pour l’industrie renaissante de ses cendres, la Kashio Seisakujo. La première invention improbable de Tadao Kashio est devenue mythique: un porte-cigarettes en forme de bague à glisser au doigt, permettant de fumer sa clope jusqu’au dernier brin de tabac tout en continuant à travailler…
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- Porte-cigarettes en forme de bague
En-soi, ce porte-cigarette est un objet-symbole de cette époque de direct après-guerre, pauvre et industrieuse. Mais par ailleurs, cet objet étonnant remporta un succès tel que les frères Kashio purent alors investir dans des projets d’une toute autre envergure: les calculatrices.
De la calculatrice à la montre
On ne reviendra pas ici, faute d’espace, sur l’extraordinaire saga, par ailleurs racontée de multiples fois, qui a vu les quatre frères Kashio – réunis entre temps dans la Kashio Keisanki, plus connue sous le nom de Casio Computer – connaître une ascension fulgurante à partir de la présentation en 1957 de la Casio 14-A, première calculatrice au monde entièrement électrique, fonctionnant à l’aide d’électro-aimant. Un engin qui pesait alors 140 kilos.
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- Casio Mini, premier calculateur électronique de poche - 1972
Va s’ensuivre rapidement une très compétitive course à l’innovation technologique contre des adversaires tels que Sharp, notamment, qui introduisit la première calculatrice à transistor. D’année en année, les inventions vont se succéder avec pour objectif d’être toujours plus performant et plus petit. La clé du succès résidant dans la miniaturisation, Casio va sortir en 1972 le premier et révolutionnaire calculateur de poche, le Casio Mini… La course-poursuite à la miniaturisation et l’essor de l’électronique vont s’accélérer au fil des ans mais laissons là les calculatrices pour passer à la montre, en l’occurrence à la première Casiotron, sortie en 1974, il y a donc 50 ans exactement.
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- La première Casiotron de 1974
«Quelle est l’essence d’un garde-temps?»
La sortie de la Casiotron en 1974 est une révolution technologique mais aussi un renversement conceptuel. Technologiquement, Casio a importé dans la montre ses technologies LSI (pour Large Scale Integration) développées pour ses calculatrices, permettant l’implantation de 1’000 à 10’000 composants dans des circuits – dit intégrés.
Conceptuellement, la démarche « horlogère » part d’un constat, tout naturel pour un concepteur et fabricant de calculatrices, ce que Casio résume ainsi: «What is the essence of timekeeping ? Watch simply add up seconds!» Le temps n’est qu’une course numérique.
Une telle conception est tout à fait étrangère à un horloger traditionnel. Jamais il n’imaginerait ne faire qu’empiler des secondes comme une calculatrice additionne des chiffres. A ses yeux, le temps, assemblage de rouages, ne peut être que cyclique. D’ailleurs ses montres se passent très bien de la seconde – de l’afficher du moins.
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- La Casio Watch 50th Anniversary Casiotron TRN-50SS. Conçue à l’occasion de la commémoration des 50 ans des montres Casio, la TRN-50 SS reprend le design de la Casiotron d’origine, tout en lui incorporant un mouvement à énergie solaire, une connexion Bluetooth et un pilotage par radio-contrôle. Son cadran a été totalement revu, présentant un motif bleu cannelé cerclé d’or et entouré d’une lunette bleue, évoquant le ciel et la mer. Au dos de la montre figure le logo doré des 50 ans, une mention que l’on retrouve dans son bracelet poli miroir et bicolore.
Comme souvent, l’innovation radicale provient d’une autre façon de penser.
La montre Casiotron de 1974 est en effet une première, affichant numériquement heures, minutes, secondes, ainsi que mois, date, jour de la semaine en calendrier «perpétuel» ne nécessitant aucune correction.
Une montre «fully automatique» comme le dit la publicité de l’époque. Un world-first. Immédiatement, la Casiotron devient un emblème de la fulgurante progression technologique du Japon qui ne cesse alors «d’additionner les secondes» d’avance.
Vendue au départ comme un produit haut de gamme, la Casiotron de 1974 coûte un mois de salaire entier d’un universitaire. Rapidement elle évolue, arbore toutes sortes de formes – ronde, carrée, plate, même incorporant des surfaces en or 18 carats. Technologiquement, avec la Casiotron X-1 sortie en 1976, elle propose en outre devient des fonctions de chronomètre, compteur, heure universelle, dual time et la même année, au vu de son succès, une ligne d’assemblage ultra-moderne lui est spécifiquement dédiée dans la Hachioji Factory, avant que d’autres fabriques ne soient aussi créées, au Japon, avec l’ouverture d’un grand centre de R&D à Hamura City, Tokyo et en-dehors du Japon pour la production de boîtiers et d’autres composants. A cette époque,25% des employés de Casio sont des ingénieurs.
Les innovations se succèdent à un rythme fou. Pour n’en citer que quelques unes: 1980, la W100 en résine a une étanchéité de 100 m, la C-80 est la première montre Casio avec clavier de calculatrice, en 1981 c’est au tour de la J-100, montre pour jogger offrant toutes sortes d’indications spécifiques, en 1982, les T-1500 et T-2000, des «walking dictionnaries watches» Anglais – Japonais et Japonais-Anglais, ou la TS-1000, avec thermomètre inclus ou encore, toujours la même année, la première Casio digitale et analogue – avec trois aiguilles, puis en 1983, c’est au tour de l’AT-550, dite «Janus Read Sensor», avec son écran tactile futuriste qui permettait à son utilisateur de tracer des nombres et des symboles du bout du doigt sur le verre, formules et résultats étant affiché sur un écran LCD… une technologie prémonitoire.
On pourrait continuer ainsi jusqu’à nos jours mais en 1983, à l’aube de ses 100 millions de montres vendues (un chiffre atteint en 1984) Casio va frapper aussi un autre coup qui se révélera être un coup de maître…

La saga de la G-Shock
Apparue sur les marchés en 1983, la G-Shock vient donc de dépasser ses 40 ans, qu’elle a fêtés l’an dernier en 2023. Inutile de présenter cette star de l’horlogerie instrumentale de poignet, née des longues insomnies de l’ingénieur Kikuo Ibe qui venait de briser la montre que son père lui avait offerte.
Depuis 1983, la montre que M. Ibe (qui avait rejoint Casio dès 1976) pensait avoir imaginée essentiellement «pour les ouvriers travaillant au marteau pneumatique» s’est vendue à bien plus de 100 millions d’exemplaires. De quoi faire de nombreux trous au marteau pneumatique. Mais en 40 ans, la super résistante G-Shock, après être devenue LA montre de prédilection des tough-guys et des adeptes de l’extrême, puis une icône pop, s’est aussi féminisée avec sa version Baby-G, s’est «analogisée» avec la lecture par aiguilles, s’est mise à l’énergie solaire, s’est branchée aux smartphones et s’est peu à peu gentrifiée avec l’usage de métaux nobles. Et elle s’est… japonisée.
Cette montée en gamme et cette sophistication progressive de la G-Shock ne doivent rien au hasard. Elles correspondent aussi aux transformations du marché horloger. Après avoir a vu la renaissance de la montre mécanique et l’extension du marché du luxe, elle a été plus récemment confrontée avec l’arrivée des montres connectées qui allaient mordre sur le marché « naturel » de Casio.
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- Europa Star 1995
Avec MR-G, la G-Shock monte en gamme…
C’est en 1996, pour répondre au défi de la montée en gamme, que la ligne des G-Shock MR-G a vu le jour. La G-SHOCK originelle était dotée d’un boîtier de protection extérieur en uréthane afin d’absorber les chocs. Comment serait-il possible d’obtenir le même effet avec un boîtier métallique non protégé? se demandèrent alors Kikuo Ibe et ses équipes qui cherchaient à créer leur «montre de rêve». L’idée leur est alors venue de s’inspirer des pare-chocs des automobiles: une lunette séparée du boîtier par un dispositif d’absorption des chocs inséré entre la lunette et le boîtier, ainsi qu’une enveloppe en verre très étanche afin d’amortir les chocs entre la lunette et le verre.
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- La structure métallique « multi-guard » de la G-Shock MR-G-B2100B
La ligne MR-G, version métallique de la G-Shock, est commercialisée à cinq fois le prix de la G-Shock originelle. Elle va bouleverser l’image conventionnelle de la G-Shock. La collection va rapidement se développer en misant sur la qualité supérieure des matériaux employés, ses méthodes poussées de fabrication et les technologies avancées qu’elle va graduellement intégrer.
La culmination de cette transformation de l’image de la G-Shock a eu lieu l’année dernière, à l’occasion des 40 ans de Casio. En l’occurrence, la G-D001 (le D étant là pour dire «Dream»), une montre « en édition limitée d’une montre unique dans le monde entier». Sa particularité: être intégralement en or jaune 18 carats. La montre a été vendue aux enchères en 2023 par Philips à New York pour la somme de $315,000 USD (au profit de l’organisation The Nature Conservancy).
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- La G-SHOCK Dream Project ‘G-D001’
Appel à la culture japonaise
Mais outre les recherches sur les matériaux, l’ergonomie et les performances technologiques, le recours à la culture japonaise, à sa tradition millénaire de l’artisanat, à ses codes esthétiques a joué un rôle majeur dans ce dépassement progressif de l’image purement instrumentale et abordable de la G-Shock.
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- Un exemple frappant de cette fusion entre technologie de pointe et artisanat traditionnel est cette MRG-G2000HT, sortie en 2017. Elle intègre notamment la technologie GPS Hybrid Wave Ceptor, qui la rend précise n’importe où dans le monde, ou encore la transmission Bluetooth, mais sa lunette et les inserts de son bracelet sont l’œuvre de Bihou Asano, de Kyoto, dont la famille a préservé la technique millénaire du kasumi tsuchine, une technique de frappe du métal utilisée pour décorer armures et autres objets. Le titane forgé ainsi frappé est ensuite durci et revêtu en DLC d’une couleur profonde dite «bleu japonais».
Après tout, rien que de normal en ceci car, comme tout visiteur du pays aura pu le constater, l’excellence technologique du Japon et sa culture profonde se mêlent et se mélangent sans cesse.
Casio va dès lors faire appel pour sa collection MR-G à des techniques artisanales et à des artisans traditionnels qui vont lui permettre d’insuffler dans ses modèles une «japonité» supplémentaire qui doit lui permettre à la fois de se distinguer par rapport à sa concurrence internationale et de donner des lettres de noblesse supplémentaire à ses garde-temps par ailleurs ultra-technologiques.
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- La G-Shock MRG-B2100B. Nouvelle addition cette année à la ligne analogique de G-Shock 2100, la MRG-B2100 se veut une démonstration du «raffinement sophistiqué de l’esthétique japonaise», affirme Casio. Son cadran s’inspire du kigumi, cette façon artisanale traditionnelle de former, sans clou ni attaches, des subtiles trames de bois entrecroisé, dessinant des motifs géométriques, répétitifs, motifs l’on retrouve dans nombre d’expressions artistiques japonaises.