n horlogerie, Louis Vuitton a fait le choix des indépendants et ce pari s’avère gagnant. D’abord en bâtissant patiemment à partir de 2009 sa Fabrique du Temps à Genève (qui s’est élargie entre-temps à la Fabrique des Boîtiers et Fabrique des Mouvements), en misant sur le savoir-faire d’un duo de maîtres horlogers, Enrico Barbasini et Michel Navas, dont l’ingéniosité a nourri son développement, tout en intégrant un nombre croissant de savoir-faire artisanaux comme la peinture miniature. Puis, sous l’impulsion de Jean Arnault, collectionneur averti avant de rejoindre la division horlogère de Louis Vuitton en 2021, en mettant en place un «cercle vertueux» avec les créateurs indépendants.
Cet écosystème construit avec les indépendants comprend un ambitieux programme de collaborations avec des figures de la scène horlogère contemporaine portant sur des créations exclusives, initié par la LVRR-01 Chronographe à Sonnerie avec Rexhep Rexhepi en 2023 et qui se poursuit avec la LVKV-02 GMR 6 tout juste dévoilée avec Kari Voutilainen.
De plus, la marque a lancé un Prix pour les créateurs horlogers indépendants, dont la première édition a été remportée par Raul Pagès l’an dernier (lire notre article ici). Ouvert à l’ensemble de la scène horlogère contemporaine, ce prix récompense tant la créativité technique qu’esthétique: la visibilité donnée aux participants, puis les contacts à travers un programme actif de mentoring, comptent autant si ce n’est plus que le financement de 150’000 CHF accordé au lauréat.
Là où le cercle vertueux se boucle? Ce prix est rendu possible par la conception et la mise en vente des modèles collaboratifs. Kari Voutilainen est lui-même présent au sein du comité d’experts du prix.
Mariage des identités sur le cadran
Entre donc en scène cette nouvelle collaboration, deuxième chapitre dans ce programme qui en comptera cinq au total (chacune portant sur cinq exemplaires). Une collaboration «fluide», comme la qualifie Jean Arnault, car les rôles ont été très clairs dès le début: les ateliers de l’horloger finlandais ont conçu le mouvement de cette réalisation inspirée du dernier design de la montre Escale dévoilée en 2024, quand les experts de la Fabrique du Temps Louis Vuitton ont ouvragé le boîtier en tantale, un matériau particulièrement complexe. Là où leur «mariage» prend la forme la plus avancée est le cadran de cette LVKV-02 GMR 6, qui a circulé à de nombreuses reprises entre leurs ateliers genevois et neuchâtelois.
«Nous nous sommes notamment accordés sur la méthodologie à suivre, pour établir l’ordre des opérations sur un cadran qui compte autant d’éléments distinctifs», précise Angélique Singele, directrice des opérations chez Voutilainen (lire notre article ici). Le cadran de la LVKV-02 GMR, qui a été fabriqué en quatre parties, se distingue notamment par son cercle des heures poli-diamanté évoquant un vitrail, une réalisation de haut vol de peinture miniature, décoré à la main par Maryna Bossy à La Fabrique des Arts – l’atelier des Métiers d’Art de La Fabrique du Temps Louis Vuitton. Ce travail minutieux implique l’utilisation de 28 couleurs différentes, instinctivement associées au monde du voyage lié à la maison parisienne, et nécessite 32 heures de peinture méticuleuse ainsi qu’un total de huit heures de cuisson.
Clin d’œil au damier, une autre signature de Louis Vuitton, le centre du cadran en or 5N a naturellement été guilloché dans les ateliers de Kari Voutilainen – l’une de leurs grandes spécialités. La patte esthétique du maître horloger s’imprime sur le cadran, par exemple sur les chiffres romains, l’indicateur jour-nuit dans un émail au subtil dégradé représentant la Lune et le Soleil, ou les aiguilles. Un mariage que l’on retrouve jusqu’au logo apposé sur la montre, unissant le sigle LV au nom de Voutilainen.
Les complexités du tantale
Avec un cercle des heures aussi éminemment «louisvuittonesque» dans sa multitude de couleurs, le choix de la tonalité du cadran était cruciale, explique Kari Voutilainen: «Il nous fallait créer un contraste suffisant pour mettre en évidence la peinture miniature. Nous aurions pu partir sur le blanc ou le noir, mais notre choix s’est porté sur cette teinte de gris: la même logique a conduit au choix du tantale pour le boîtier. Aucun élément ne prend le pas sur l’autre, de sorte que l’ensemble est mis en valeur.»
Esthétique d’un côté, faisabilité de l’autre: le boîtier de 40,5 mm a été façonné en tantale, mais les cornes sont trop tendues pour ce matériau, qui n’est pas non plus évident à polir – le platine lui a ainsi été préféré pour les cornes, tout comme pour la couronne de forme (une première pour le maître horloger). Les angles sont façonnés par un fin cabronnage, suivi du polissage et de l’affûtage du platine. Chaque corne a nécessité environ une heure d’ouvrage manuel.
La réalisation du fini satiné à la surface du boîtier en tantale a elle aussi constitué un véritable défi: près de quatre heures ont été nécessaires à cette seule étape intégralement effectuée à la main, afin de souligner l’éclat naturel du tantale et créer le contraste voulu entre le boîtier et ses composants en platine poli.
Le monde du voyage
Vient ensuite le moment de retourner la montre pour en découvrir le mouvement aux 254 composants. La mention «GMR 6» dans le nom du modèle fait référence à la fonction de second fuseau horaire, en écho aux origines de Louis Vuitton dans le monde du voyage. La lettre «R» évoque pour sa part l’affichage de la réserve de marche, tandis que le chiffre «6» symbolise l’emplacement du sous-cadran du second fuseau horaire.
Le disque GMT réalise une rotation complète en 24 heures. Il a été conçu pour être réglé sur l’heure du domicile, de sorte que l’aiguille centrale des heures puisse être facilement ajustée au fuseau horaire local du pays visité, d’une simple pression sur la couronne. «Traditionnellement, c’était le disque des 24 heures qui tournait sur nos mouvements GMT, explique Kari Voutilainen. Sur ce modèle, au contraire, c’est l’aiguille des heures qui se déplace d’une heure à chaque activation de la couronne.»
Cette création hors du commun est animée par un système de balancier-spiral rare: l’extérieur recourt à un spiral utilisant la courbe Philips classique, tandis que la partie interne utilise la courbe moins connue de Grossmann, en améliorant la précision. Le mouvement tire sa particularité de ses deux roues d’échappement qui procurent une impulsion directe au balancier par l’intermédiaire des rubis. Une construction qui renforce l’efficacité du mécanisme en utilisant moins d’énergie que l’échappement à ancre suisse.
Le mouvement est décoré de finitions traditionnelles, tels le perlage et les Côtes de Genève et, en écho au cadran, orné d’un motif kaléidoscopique de peinture miniature multicolore sur le barillet. Façonnée en or blanc, l’applique du cliquet a requis quelque 16 heures pour la mise en couleur, en utilisant 27 tonalités différentes.
Pour poursuivre sur le thème du voyage, chaque montre est livrée dans une impressionnante malle Louis Vuitton sur mesure réalisée par l’atelier historique de la Maison à Asnières. Une fois la structure achevée, un décor peint à la main reprenant les motifs et l’architecture complexes du cadran de la montre est reproduit sur la malle, tout comme la signature «Louis cruises with Kari».
Alors que l’horlogerie dans son ensemble est sortie d’années d’essor sans précédent, la marque dit poursuivre «sa pleine croissance», sous ses multiples visages. Avec cette nouvelle création, Louis Vuitton confirme son cheminement original dans le monde de l’horlogerie, aux côtés de ses meilleurs alliés que sont les créateurs indépendants.
